photo ©Laure Hirsig
« On veut être digne, surtout à l’instant de périr si bêtement, serré dans un slip de bain Go Sport. » (Bertrand Belin)
Échoué dans un vide-grenier, anonyme au milieu des bavardages vaporeux, des fripes molles et des livres cornés, REQUIN me saute aux yeux comme on reconnaît un être familier. Alors, je sors quelques euros et l’emporte.
Transporté sous mon pull comme un trésor silencieux à protéger de la pluie, il n’allait ouvrir sa gueule que plusieurs mois plus tard. Heureusement, sinon il m’aurait dévoré la poitrine ce jour-là, serré sous le pull. REQUIN s’est ouvert un soir d’hiver. Depuis, je n’arrive plus à le refermer. Il m’a saisie à la gorge et ne me lâche pas. Je porte sa morsure, comme un stigmate poétique.
Prise dans le vortex de ce premier roman de Bertrand Belin ; je veux partager la sensation déclenchée par sa lecture, en l’amenant sur scène. Partager l’histoire d’un homme, parti se baigner dans les eaux mornes d’un lac artificiel, qui n’en reviendra pas.
Quittant les certitudes terrestres, il s’aventure « là où autre chose commence ». Alors que ce candidat à la noyade prend le large, le hasard vient clouer sa tourmente une fois pour toutes, dans le cœur du lac placide.
REQUIN, c’est l’histoire d’un accident, d’une crampe absurde, d’un choc élémentaire ; une sorte de pétrification en eaux troubles.
Voici le récit impromptu d’une vie trouée de honte, qui se diluera dans les profondeurs secrètes de sa propre confession. Alors qu’il sombre, c’est sa mémoire tourmentée de topographe taciturne, qui refait surface.
Cet homme qui n’est pas moi ; son invisible trépas ; la discrétion risible de son enfouissement ; la parole incongrue qui pousse sous la plume de Bertrand Belin : je les reçois de plein fouet, comme fouette la vague. Profondément remuée par les lames de fond de cette histoire, je m’abandonne à sa beauté singulière, à son humour dérisoire.
C’est peut-être parce que je suis née presque noyée – arrivée trop tôt sur Terre, les poumons remplis d’eau après avoir bu la tasse dans le ventre de ma mèr(e) – que je vibre et ris au récit de cette mort en direct. Paradoxalement, c’est parfois lorsque l’air manque que l’on trouve l’inspiration.
Après tout, comme l’écrit Bertrand Belin : « Rien ne soulage mieux de la mort que de mourir en acte ». Et au théâtre, le phénix est Roi.
TEXTE BERTRAND BELIN / MISE EN SCÈNE ET ADAPTATION LAURE HIRSIG
JEU VINCENT COPPEY, ELIOT SIDLER, FRANÇOIS REVACLIER
CRÉATION LUMIÈRE DAVID KRETONIC / COMPOSITION MUSICALE ET SONORE FERNANDO DE MIGUEL / SCÉNOGRAPHIE DAVIDE CORNIL / COSTUMES ÉLÉONORE CASSAIGNEAU / COIFFURES ET MAQUILLAGES ARNAUD BUCHS / COMPLICE BODGAN NUNWEILER / ASSISTANTE CHARLOTTE CHABBEY / RÉGIE SON JEAN KERAUDREN / ADMINISTRATION CRISTINA MARTINONI / IMAGES TEASERS GAËTAN BESNARD / ENTRAÎNEMENT PILATES MARCELA SAN PEDRO
Une production de la Cie du Squale. En coproduction avec le Théâtre Saint-Gervais-Genève et la MAC-Maison des Arts de Créteil, scène nationale.
Avec le soutien de la Loterie Romande, du Fonds culturel de la Société Suisse des Auteurs (SSA), de la Fondation Ernst Göhner, de la Fondation Jan Michalski, de la Fondation philanthropique Famille Sandoz et d’une fondation privée.
Représentations du 20 au 30 avril 2023 au Théâtre Saint-Gervais-Genève (CH) et les 10, 11 et 12 mai 2023 à la MAC-Maison des Arts de Créteil, scène nationale (F).
photos spectacle ©Patrick Berger – ©David Kretonic





